Histoire de l'Astorack (2) : Le Printemps du Multivers

Les premiers à s’éveiller furent les Dieux, entités intangibles de volonté pure. Ils prirent peu à peu la forme qui correspondait à leurs aspirations et se matérialisèrent finalement aux confins des plans célestes. Leur conscience et leurs pouvoirs dépassaient l’entendement, et des conflits divins ne tardèrent pas à éclater : chacun d’entre eux réclamait une part colossale de son plan d’existence pour y forger un domaine à la mesure de ses idéaux, ce qui ne pouvait qu’aboutir à d’intenses luttes territoriales. Les différences idéologiques innées ne faisaient que renforcer les antagonismes, et c’est à cette époque troublée que sont nés les plus grandes haines de l’histoire du multivers.
Les duels étaient spectaculaires, sanglants et la plupart du temps mortels. Les cicatrices de ces temps de haine devaient marquer à jamais ceux qui les portaient. Ainsi l’œil gauche de Gruumsh, crevé lors d’une bataille épique par l’épée longue « Sahandrian » du maître escrimeur Corellon Larethian, allait-il devenir bien plus tard le symbole de l’éternelle inimitié entre elfes et orques. La liste est longue de ces balafres mal refermées ; parmi les plus célèbres on peut citer la rancune de Kurtulmak, futur créateur des kobolds, envers Garl Brilledor qui deviendra père des gnomes, ou encore la profonde haine entre les demi-frères Hextor et Héronéus, liés par le sang mais opposés dans l’âme.
Bien entendu, comme souvent en ces périodes difficiles, des alliances se forgèrent et des pactes furent signés. Les Dieux du Bien, grâce à un esprit plus fort de collaboration, parvinrent dans les premiers temps à triompher de leurs homologues maléfiques. Mais leurs victoires étaient de courte durée, car l’esprit divin est immortel, et les divinités ne connaissent pas la mort. Ceux qui étaient tombés ne tardaient guère à se relever, près à recommencer la lutte.

Des millénaires passèrent ainsi dans un éternel recommencement, et progressivement les Dieux se fatiguèrent de ces querelles en vain. Même les plus abominables et les plus sanguinaires commencèrent à aspirer à quelques instants de répit. Alors la plupart songèrent à déléguer leur puissance, donnant à d’autres la force de lutter pour eux. C’est ainsi que commença le peuplement des plans extérieurs.
Les divinités du Bien imaginèrent des créatures majestueuses et agiles, versées dans l’art de la protection et de la guérison, mais tout à fait capable de châtier leurs ennemis maléfiques. De leur imagination naquirent les célestes, êtres de lumière et de grâce.
Les divinités du Mal, de leur côté, ambitionnèrent plutôt de créer des monstres de haine et de destruction, maîtrisant les forces impies de la magie noire. De ces rêves sadiques émergèrent les fiélons, abominations de ténèbres et de corruption.
Les divinités neutres, enfin, assistèrent silencieuses au développement des plans extérieurs. Depuis un certain temps déjà, elles avaient compris que ces luttes interminables ne pouvaient qu’aboutir à la fin du multivers. Leurs réactions furent aussi diverses que leurs conceptions étaient variées : certaines se retirèrent dans des plans éloignés pour y fonder des empires à leur image, d’autres s’impliquèrent imperceptiblement dans le conflit pour tenter de défendre l’équilibre. Toutes utilisèrent pour fonder leur pouvoir la puissance des forces élémentaires : les vies qu’elles créaient étaient forgés directement dans l’énergie du feu, du froid, de l’eau, de la terre, de l’air, du chaos ou de la loi.

Alors commença l’ère des guerres à grande échelle. Au cours de titanesques batailles s’affrontaient des armées de milliers de soldats d’élite dotés de pouvoirs incroyables, et le millénaire qui suivit fut le plus sanglant de l’histoire du multivers. En retrait dans leurs forteresses d’ivoire ou de diamant, les Dieux observaient, satisfaits, l’acharnement de leurs enfants. Ils ne prenaient plus part aux conflits qu’en de très rares occasions, et perdirent progressivement leur forme physique pour redevenir ce qu’ils avaient été à leur éveil : de simples entités conscientes d’énergie primordiale.
Peu à peu, des contours furent définis, et les plans commencèrent à trouver propriétaires. Certains succombaient à la horde maléfique, d’autres au contraire tombaient entre les mains des forces du Bien. La situation se stabilisa peu à peu, jusqu’à ce que finalement la guerre ouverte s’achève. Dorénavant on distinguerait sans hésitation possible les plans célestes des plans infernaux. De leurs côtés, les plans de la neutralité avaient aussi renforcé leurs frontières pour se prémunir d’incursions indésirables : les contours du multivers avaient adopté leur configuration définitive.
Dans le même temps, alors que les générations se succédaient, les habitants des plans avaient de plus en plus tendance à se dégager de l’influence du Dieu qui les avait créés. De soumission on passa à vénération et certains, notamment parmi les fiélons, abandonnèrent toute croyance, confiants en leurs propres capacités. La liberté faisait son apparition dans les plans et l’influence divine devenait de plus en plus subtile. Les convictions profondes des créatures concernant le Bien et le Mal restaient néanmoins inchangée : seule leur manière d’aborder la question évoluait. Petit à petit, les plans extérieurs et leurs habitants se rapprochaient de leur état actuel.

Les Dieux finirent par se lasser de ces mondes à présent pacifiés. Il leur fallait un terrain de jeu, un endroit où ils pourraient tous confronter leurs pouvoirs et abattre leurs rivaux d’antan. Leur attention se tourna donc vers un plan isolé, situé presque au cœur du multivers, et qui n’avait encore accueilli aucune créature divine.
Ce monde étrange les fascina par sa simplicité : les monstres qui s’y étaient développés hors des conflits qui secouaient les autres plans étaient restés au stade le plus primitif de l’existence : ils vivaient pour et par leur instinct, sans autre but que de survivre et de se reproduire. Des créatures colossales avaient ainsi peuplé les terres, les mers et les airs.
Seuls d’immenses reptiles volants avaient atteint une certaine intelligence, et ils étaient les maîtres incontestés de leurs territoires. Ils se distinguaient par la couleur de leurs écailles, et de terribles luttes d’influence secouaient leurs rangs. Longtemps, les Dieux les observèrent sans agir. Les plus vieux d’entre ces dragons possédaient une puissance presque divine. D’ailleurs, et malgré une société quasiment inexistante et une vie très individualiste, une hiérarchie semblait distinguer ces créatures en fonction de leur âge.
Puis vint le moment où les Dieux décidèrent de s’impliquer. Très vite, ils découvrirent pourquoi ce plan était resté à l’abri des conflits divins. Les dragons maîtrisaient une puissante magie runique et empêchaient toute intrusion de la part d’extérieurs, quelle que soit leur volonté. Les Dieux bons et la plupart des neutres renoncèrent, choisissant de laisser vivre ce monde de sa propre histoire.
Mais les divinités maléfiques ne pouvaient rester sur un tel échec, et employèrent tous leurs pouvoirs pour pénétrer d’une quelconque manière sur ces terres. A force de volonté, ils parvinrent à corrompre certains dragons qui partageaient avec eux la même avidité de puissance et de richesse. Ces derniers se laissèrent convaincre de partir à l’assaut de leur frères ennemis, et pour la première fois, une guerre éclata entre les créatures draconiennes. Celle-ci fut terrible : les majestueux reptiles n’étaient que peu nombreux, et le conflit décima près des trois-quarts d’entre eux. Les survivants, dégoûtés par tant de destruction, se replièrent dans leurs profondes cavernes et entamèrent une très longue période de méditation hors du monde.
La barrière runique s’affaiblit progressivement, mais empêchait toujours aux Dieux de pénétrer en personne sur ce monde encore vierge, d’autant qu’ils répugnaient à reprendre leur forme physique si fatigante. Ils se contentèrent donc d’agir depuis les plans extérieurs pour introduire leur soif d’activité en ce plan. Tous se mirent au travail et implantèrent leurs idéaux dans les lieux qu’ils croyaient les plus propices à leur développement. Certains passèrent par des créatures intelligentes aux aspects multiples, d’autres s’amusèrent à installer des monstres fantasques et surprenants, d’autres encore choisirent de s’associer à un lieu ou à un climat qu’ils affectionnaient tout particulièrement.
Et depuis, les Dieux observent leur création avec un intérêt toujours renouvelé. Leurs antagonismes originels ont été transmis à leurs enfants, et les luttes d’antan se poursuivent dans ce plan. La vie de ces créatures est un combat permanent, et l’intervention divine en ce monde est suffisamment difficile pour que les divinités n’accordent leur soutien qu’aux plus fidèles de leurs adorateurs. Les autres vivent libres et de leur propre volonté.